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Transparence salariale : l’objectif égalitaire pourrait engendrer un tsunami social

Date de publication : 14.11.25

Droit du travail

Stanislas Dublineau Carole Chriqui

Le silence est d’or, la parole est d’argent ! Le législateur européen a, manifestement, mal compris le sens de cet adage séculaire puisqu’il va donner la parole… à l’argent ! La directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023, relative au renforcement de l’application du principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de valeur égale, instaure une véritable obligation de transparence salariale au sein des entreprises.
Elle impose de nouvelles exigences en matière d’information, de justification et de communication des rémunérations. Ce texte, qui doit être transposé en droit interne au plus tard le 7 juin 2026, marque une rupture majeure dans la gestion de la politique salariale des entreprises européennes. Les questions posées par ce texte sont nombreuses et englobent, notamment, un changement culturel qui est loin d’être négligeable.

Une nouvelle norme juridique : la transparence des rémunérations

La directive européenne consacre un principe juridique nouveau en matière de rémunération des salariés : la transparence.

Cette évolution entraînera inévitablement des défis techniques, organisationnels, mais aussi, et surtout, une véritable révolution culturelle dont les effets devront être anticipés.

a) Un renforcement des obligations de reporting et d’égalité salariale

Les employeurs devront désormais publier un indice d’égalité salariale, fondé sur sept indicateurs normatifs permettant de mesurer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

Ces indicateurs devront être régulièrement communiqués aux salariés, à leurs représentants, et, le cas échéant, rendus publics.

Tout écart devra être justifié par des critères objectifs, pertinents et non discriminatoires, conformément au principe de l’égalité de traitement consacré par le Code du travail.

b) Des obligations accrues dès la phase de recrutement

Lors du processus d’embauche, les employeurs devront :

  • mentionner dans l’offre d’emploi ou avant l’entretien, la rémunération initiale envisagée ou sa fourchette.
  • s’abstenir de solliciter auprès des candidats des informations relatives à leur rémunération antérieure.

Ces contraintes semblent très éloignées de la réalité du recrutement et des contraintes qui y sont attachées. Elles font également fi des impératifs liés à la concurrence et à la libre négociation des contrats.

c) Des droits nouveaux pour les salariés en poste

Au cours de l’exécution du contrat de travail, de nouveaux droits vont être accordés aux salariés puisque les entreprises seront tenues :

  • de rendre accessibles les critères de détermination et d’évolution des rémunérations,
  • de communiquer, sur demande écrite du salarié, les données relatives à sa rémunération et à la rémunération moyenne par sexe des salariés occupant des emplois équivalents, dans un délai maximal de deux mois,
  • d’informer annuellement chaque salarié de son droit d’accès à ces informations.

Ces obligations risquent de compromettre toute individualisation salariale et d’alourdir la gestion interne des rémunérations.

Des risques juridiques, sociaux et économiques accrus

Si l’objectif poursuivi par cette circulaire est louable (assurer une forme d’égalité salariale), les conséquences pratiques de ces nouvelles règles pourraient être particulièrement regrettables.

Sous couvert d’une tentative d’amélioration de l’égalité salariale, la directive va vraisemblablement engendrer de nouvelles (et inutiles) tensions à l’intérieur des entreprises.

Les entreprises pourraient être tentées de se séparer des salariés moins performants plutôt que d’adapter leur rémunération. De même, la progression des meilleurs profils pourrait être ralentie par l’exigence de transparence et la prétendue égalité qu’elle a vocation à imposer.

Ces nouvelles normes vont exacerber les comparaisons entre les salariés. Les écarts constatés dans les rémunérations ne sont que très rarement perçus comme objectivement justifiés. Les revendications injustifiées seront donc largement exacerbées par des comparaisons inappropriées, voire déplacées.

Le contentieux sera, pour sa part, largement en défaveur des entreprises puisque la directive introduit une inversion de la charge de la preuve si l’employeur ne respecte pas son obligation de transparence. Lorsqu’une différence de rémunération sera contestée, il appartiendra désormais à l’employeur de démontrer que la différence est fondée sur des critères objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Il faut donc s’attendre à une augmentation considérable du contentieux en matière d’égalité de rémunération.

Enfin, la mise en conformité impliquera un coût financier non négligeable, tant pour la collecte et le traitement des données que pour la correction d’éventuels écarts injustifiés.

 

Anticiper les obligations pour transformer la contrainte en levier de performance

A marche forcée, la transition vers la transparence salariale nécessitera une anticipation rigoureuse et pluridisciplinaire, mobilisant expertise juridique, gestion des ressources humaines et stratégie de communication interne.

Les entreprises vont rapidement devoir :

  • procéder à un audit approfondi des politiques de rémunération et définir le niveau de transparence souhaité (par catégorie ou par individu),
  • revoir les systèmes de classification afin d’identifier les emplois de valeur équivalente, conformément aux critères légaux,
  • inventorier l’ensemble des composantes de la rémunération (fixe, variable, avantages en nature, dispositifs collectifs, etc.),
  • documenter et formaliser les critères objectifs justifiant les écarts observés,
  • planifier les mesures correctrices nécessaires, tant sur le plan technique que budgétaire,
  • élaborer des grilles de rémunération fondées sur des critères transparents et non discriminatoires (compétence, expérience, ancienneté, performance mesurée sur des bases objectives),
  • instaurer des procédures internes de traitement des demandes d’information,
  • et mettre en œuvre une stratégie de communication claire, à la fois auprès des représentants du personnel et des managers, ces derniers étant en première ligne pour expliquer la politique salariale adoptée.



Conclusion : Les entreprises doivent être accompagnées pour que cette contrainte juridique devienne une opportunité managériale

Afin d’éviter de subir les conséquences prévisibles de cette nouvelle législation, les entreprises devront en anticiper les contraintes et être accompagnées pour instaurer un dialogue social constructif et des règles claires en matière de politique de rémunération.L’anticipation de ces nouvelles règles pourrait alors devenir un vecteur de confiance, de motivation et de fidélisation des collaborateurs.La tâche est immense, mais bien accompagnées, les entreprises pourraient en sortir renforcées, tant sur le plan de leur attractivité que de leur gouvernance interne.

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